Un phénomène alarmant prend de l'ampleur, celui de l’accaparement des terres (land grabbing) des terres des plus démunis par les plus aisés par achat ou par location, y compris quand elles sont déjà labourées. Ce phénomène suscite de grandes inquiétudes quant à la survie des familles vulnérables. Cas concret à Rukaragata, dans la commune et province de Ruyigi.
Pour acheter du matériel scolaire à ses enfants, il a mis en location son champ déjà labouré "amasinde" en kirundi. C’est un homme pauvre du nom de Ndikumana Pierre (nom d’emprunt par respect), qui me raconte sa situation au marché public de Ruyigi, la veille de la rentrée scolaire (17 septembre 2023). « Nous ne pouvons pas faire l'impasse sur l'avenir de nos enfants, c'est d'ailleurs notre devoir. Cependant, l'éducation des enfants devient aujourd’hui un véritable casse-tête,» S'exprime ainsi ce vieil homme.
Une fois cette discussion engagée, j’ai ressenti un engouement à l’écouter, « J’ai un rêve, celui de donner la meilleure éducation qui soit à mes enfants, mais mes ressources financières sont très limitées » raconte –t-il. « Ce qui est encore plus préoccupant, c’est que les écoles deviennent encore plus exigeantes chaque année. Alors qu'il était facultatif auparavant, le port de l’uniforme kaki est désormais obligatoire pour l’année scolaire 2023-2024. Les besoins se multiplient alors que les revenus restent très restreints. » Continue-t-il.
« Voilà que je suis obligé de mettre en location mon terrain, d’autres en arrivent à le vendre ! Je suis conscient que ceci limite l’accès aux ressources essentielles telles que la nourriture, mais, que faire face à un besoin urgent ? A chaque jour suffit sa peine ! « Quand nous nous retrouvons dans l’obligation de louer nos champs déjà labourés, ou même pire quand nous devons vendre nos terres, cela nous transperce l’âme. Nous nous retrouvons plus tard dans une situation précaire sans moyens de subsistance et sans pouvoir assurer notre propre alimentation. Pour faire court, c'est la pauvreté qui nous appauvrit davantage ! Nous restons des démunis éternels. Le plus révoltant, c’est quand ces riches nous vendent, à nous-mêmes la récolte à des prix exorbitants », ajoute le pauvre homme. Cette conversation avec Pierre m’a laissé sur ma soif, je me devais d’approfondir la question...
Visite à la colline Rukaragata …
Sur la colline Rukaragata, le lieu d'origine de Ndikumana Pierre, les faits parlent d’eux même. Le cas de Pierre n’est pas unique, loin de là ! Une femme s’est confiée à nous en ces termes : « Dans la communauté locale, on assiste à une prolifération de naissances qui n’est plus gérable. C'est un des facteurs parmi les plus importants qui conduit à la paupérisation. Les plus riches en profitent, ils disent sans gêne : "umukene ni nyagupfa", entendez : « Le pauvre est à mourir ». Une des conséquences est la désertion de la colline. Après avoir mis en location leurs terres, les hommes se rendent en Tanzanie à la recherche de l’argent. Malheureusement, à leur retour, l’argent ramené n’est jamais investi dans des projets de développement, mais directement engloutis pour acheter les mêmes produits alimentaires au marché et à des prix exorbitants !
Certains experts ont le culot d’affirmer qu’il s’agit d’un phénomène irréversible et inévitable qui permettra aux plus nantis d’avoir des exploitations plus viables et économiquement plus rentables en réduisant la proportion des agriculteurs dans le pays . Néanmoins ce drame s’il se poursuit risque de déboucher sur le chaos dans notre pays, si des alternatives ne sont pas offertes à ces populations dans d’autres secteurs.
Il est plus qu’urgent que notre pays se dote de stratégies solides face à cette grave question. On sait comme vient de le montrer l’étude sur la plus-value et les limites de l’agriculture familiale versus commerciale commanditée par ADIP, que les transformer en ouvriers agricoles ne fera que les appauvrir davantage tout en servant de terreau au sentiment de révolte d’enrichir la personne qui les a dépossédé, ‘’yabanyaze’’ comme l’on dit en kirundi, malgré leur consentement forcé.