La culture de la mangue est profondément ancrée dans les environs de Bujumbura qui bénéficie d'un climat et de sols propices pour ce fruit. La commercialisation des petites mangues a évolué au fil des temps, passant de la vente directe des agriculteurs aux consommateurs, à une longue chaine de revendeurs à plusieurs niveaux. Ces intermédiaires sont surtout des femmes qui, chacune à son niveau essaie de prélever quelques sous pour sa survie.
Mon assiduité à faire du sport m’a conduit vers cette expérience. Chaque jour, lors de la marche matinale en direction de Gasenyi-Gasamanzuki à Bujumbura, je croise une chaîne de femmes et de jeunes filles portant des bassins de petites mangues sur la tête qui foncent résolument dans une même direction. Intrigué par leur régularité, je me suis alors interrogé sur leur origine et leur destination quotidienne. J'ai alors pris la décision un jour de les suivre et entamer une conversation avec elles pour en apprendre davantage. C'était à l'aube du 9 janvier 2024.
Les oiseaux chantent, autour de 6h10’. Comme d'habitude, des femmes courageuses et déterminées parcourent la route reliant le quartier Gikungu et le quartier Nyabagere à l’endroit communément appelé « Kwa Ntiba » portant des paniers remplis de délicieuses petites mangues. J'écoutais attentivement et observais avec curiosité. Certaines portaient des paniers pleins, d'autres seulement à moitié remplis, sans que je ne puisse apercevoir le contenu de ces derniers. Cette situation suscitait en moi une certaine confusion et le rythme de leur marche ne me permettait pas d'engager une discussion avec elles.
J’ai fini par oser aborder une femme solitaire à laquelle visiblement j’ai causé un léger dérangement. Mais je ne pouvais pas me permettre de rater cette opportunité. Après quelques échanges sur tout et rien, j'ai finalement osé lui demander de m'expliquer ce phénomène intrigant.
Le voyage des mangues : De la colline à la ville…
«Chaque matin, on peut observer ces longues files de groupes de femmes se déplacer ainsi, se dirigeant vers le charmant marché de « Ku Matafari », niché dans le quartier de Nyabagere à Bujumbura. Autrefois, cet endroit était renommé pour sa production de briques cuites utilisées dans la construction des maisons. Je suis Angèle Mukeshimana, et comme ces femmes que tu vois, je parcours cette route chaque jour. Avec nos paniers remplis de fruits, nous nous hâtons pour atteindre rapidement ce marché où on se rencontre avec d’autres groupes de commerçantes provenant de différentes localités de la Mairie de Bujumbura. ». J'étais constamment avide d'en apprendre davantage : pourquoi ces femmes se dirigent-elles vers le marché de Ku Matafari et non vers d'autres marchés plus importants de Bujumbura ? Angèle m'a éclairé en expliquant que ce marché est connu comme point de rencontre pour les femmes commerçantes en provenance de Kamenge, Kinama, Cibitoke et Nyakabiga. Celles qui exercent leur activité commerciale dans d'autres quartiers de Bujumbura s'y approvisionnent aussi.
Nous approchions du marché, il devait être aux environ 7h00. Angèle m'a alors révélé que ces femmes, qui apportent les délicieux fruits de mangues sur le marché de Ku Matafari, les achètent sur pieds-entendez encore sur les arbres- auprès des planteurs de Nyambuye et de Gishingano, situées dans la commune d'Isale.
A la source…
Alors que je parcourais la Route en direction inverse de ‘’Ku Matafari-Ku Muyaga vers Nyambuye, j'ai pu observer des manguiers qui ne portaient plus de fruits. Une femme du nom de Niyonkuru Godefriede, à qui je me suis adressé, m'a parlé en ces termes : «Le panier que j’avais acheté à 7 000Fbu, je viens de le vendre à 12 000 Fbu en cours de chemin, et je m'apprête à rentrer. Aujourd'hui, les mangues que nous vendons proviennent d’endroits très éloignés. Par exemple, nous allons jusqu'à la sous-colline Nyakibande, une zone assez reculée de la commune d'Isale, pour nous approvisionner. » La même situation, s’observe également à Nyabunyegeri et à Ku Mubone, on ne voit plus que quelque dernières mangues. Les manguiers cultivés à Nyabunyegeri sont revendus sur le marché de Cotebu. Là-bas, un pied de mangue peut s’acheter à 200 000 Fbu. Une marchande rencontrée sur le lieu, affirme que ce métier lui assure un bénéfice qui varie entre 3 000 et 5000 Fbu par jour qui contribuent à la satisfaction des besoins de son ménage. D’après elle, c’est un bon métier : « j’ai fait plus de dix ans dans ce métier. Au départ, j’alternais ce métier avec celle d’aide maçon sur les chantiers de construction, malheureusement, je tombais malade toutes les deux semaines à cause de la fatigue. C’est après que j’ai opté pour ce métier de commerce des fruits. »
L'histoire des femmes marchandes de mangues à Bujumbura est un récit fascinant de résilience, de travail acharné et de commerce local. Ces femmes courageuses parcourent quotidiennement de longues distances, transportant des paniers remplis de mangues pour les vendre sur les marché en particulier celui de Ku Matafari. Leur rôle essentiel dans la chaîne de distribution des fruits et leur contribution à l'économie locale méritent une reconnaissance et une appréciation continues. La prochaine fois que vous dégusterez une mangue juteuse, souvenez-vous de ces femmes extraordinaires qui ont rendu ce moment possible. Ces femmes sont-elles condamnées à survivre au jour le jour avec moins de 5000 Fbu? Qui tire le meilleur parti de ce fruit plutôt dédaigné par les classes aisées ?
Le récit de ces lignes est malheureusement l’illustration parfaite d’un aspect important du mal Burundais. Les paysans, propriétaires des arbres fruitiers qui triment au jour le jour n’en tirent quasi rien suite au système bien rodé de vente sur pieds, d’umurwazo. Les Commerçants locaux profitant de la détresse des paysans leur proposent des prix de misère et sans verser une seule goutte de sueur se remplissent les poches à la fois sur le dos des revendeuses et des paysans. Les personnes qui y consacrent le plus d’énergie (paysans et femmes revendeuses) ne gagnent quasi rien. C’est la consécration de la duplicité. Ce sont les tricheurs, les paresseux, les menteurs et les faussaires qui se la coulent douce quand ceux qui ploient sous les faix vivent dans une misère absurde.
Ces chaines d’esclavage- car il faut le dire, les paysans et les revendeuses sont tenues en laisse par cette clique d’intermédiaires.
Et on se plaint de la flambée incessante des prix sans s’attaquer à la cause ici clairement identifiée.
Le gouvernement a officiellement interdit cette pratique, mais les habitudes ont la peau dure et seule des mesures courageuses et vigoureuses pourront y mettre fin.
Valère Niyokindi