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Les larmes de Bujumbura

Publié : Vendredi 18 novembre 2022 13:58

Le site d’ADIP est bourré d’articles plaidant les causes des paysans.Normal, c’est leur mission ! Mais que serait vraiment les paysans sans Bujumbura et Bujumbura sans les paysans? Parler de Bujumbura ne les éloignerait en aucun cas de leur champ d’action ! C’est en tout cas mon point de vue. En effet, Bujumbura souffre énormément des malheurs du paysan. Je suis son enfant (de Bujumbura) et je me propose de plaider pour cette ville.


Pas besoin d’un microscope pour voir que la situation alimentaire est devenue très difficile au Burundi. Fini l’époque où la grande récolte des patates douces était devenu un problème (ingorane en kirundi, le nom qui leur était donné lors des surproductions). Mais cette situation n’affecte pas que des cultivateurs. Bujumbura la capitale consommatrice est aussi très affectée. Les prix qui flambent ne cessent d’enfoncer les bujumburois dans la paupérisation. Non ! Bujumbura n’est plus ce paradis qui faisait rêver tous les jeunes des campagnes. 

 

Permettez cette petite histoire très récente, Je suis natif et habitant de Bujumbura. Un mardi d’octobre, je suis parti en mission de travail à l’intérieur du pays. Après Gitega, je devais partir pour Mwaro. La question de ma mère avant mon départ : « avez-vous une jeep ou une camionnette ?  A Mwaro il y a du bon charbon de bois » me fit-elle remarquer avant que je n’aie le temps de répondre. Le message n’est pas si crypté que ça : « Ne descends pas sans charbon fiston ! » 

 

Je m’exécute. J’achète le sac à 17.000 F. Arrivé à la maison, ma mère m’accueille comme un héros, tellement elle est contente de moi pour lui avoir épargné de dépenser 60.000 F en achetant le même sac à Bujumbura. Elle propose un coca à son « champion ». 

 

J’hésite un peu à lui avouer le prix mais je finis par me laisser aller. Elle me blâme presque : « Pourquoi n’en as-tu pas amené deux ? ».


Des bujumburois endettés à vie


Le découvert, le crédit, l’avance sur salaire, tels sont les mots utilisés pour conjurer la réalité crue de la « dette » (ideni). Plus sexy ? Moins déshonorant ? Peut-être ! Pour ceux qui ne peuvent pas accéder à des prêts auprès des institutions financières, ce sont les petites associations de crédit mutuel dans les quartiers qui les tirent d’affaire. Oui parce qu’à Bujumbura il n’y a pas de banane derrière l’enclos familial qu’il suffit de couper pour se nourrir ; il n’y a pas de champs de haricots où récolter l’umukubi (les légumes-feuilles de haricot). Ici, il faut mettre la main à la poche pour manger !

 

 A la boutique du quartier, c’est le fameux Nyandika (traduction littérale : inscris-moi je vais payer plus tard). Et comme Mère nature ne voulait pas lâcher sa pluie ces derniers mois, les vivres sont devenues chères à l’intérieur du pays qui approvisionne Bujumbura. 

 

La hausse du prix du carburant, est venue ajouter sa partition dans ce chant macabre de la spirale de la hausse des prix.On n’oubliera pas d’ailleurs que quelques produits transitent souvent par Bujumbura avant de rentrer dans les campagnes. On arrive ainsi à une situation aussi absurde que pernicieuse où les denrées alimentaires coutent plus cher en milieu rural qu’en ville. Interpellant pour le Gouvernement qui a essayé d’interpeller les commerçants sans grand succès ! Mais que peut-il vraiment, la loi de l’offre et de la demande ayant la peau vraiment coriace. C’est seulement en ville qu’il est possible de réunir les quantités suffisantes pour remplir un camion sans perdre du temps et les commerçants l’ont bien compris. Plutôt que de passer des heures à réunir des quantités microscopiques, ils foncent vers les endroits mieux achalandés. Ne leur parlez pas de morale, ce mot sonne trop creux pour eux ! 

 

Le Gouvernement ne devrait pas baisser les bras pour autant ! La sécurité en ville passe aussi par la sécurité alimentaire : ‘’aharaye inzara hazinduka inzigo’’, et pour tenter une traduction : ventre affamé est bourré de rancune et donc prêt à tout, comme l’a si bien démontré l’embrasement de 2015 où les quartiers riches de Bujumbura furent quasi épargnés, à moins qu’ils n’aient choisi de jeter en pâture les quartiers affamés. Pour dire que la sécurité alimentaire passe aussi par la construction de ponts (entendez des liens) entre les villes et les campagnes ! Un clin d’œil à ADIP, aux autres organisations de développement rural et au Gouvernement de ne pas oublier les urbains dans la lutte contre la faim ! 

 

Bujumbura crie au secours. Bujumbura pleure. Bujumbura a faim et ce n’est pas en soutenant uniquement les paysans que l’espoir sera permis.

 

Arsène Ngabirano